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20/03/2022

Kelly Rajerison...

En hommage à Kelly Rajerison, un des icônes du rock malgache, je ressort ici deux articles que j'ai écrit successivement en 1996 lors du come back des Pumpkins, son groupe originel.

LES PUMPKINS SONT LA

Imagine en 1967 : les jeunes du lycée Gallieni, atteints par le virus de la Beatlemania, fondent un groupe rock et annoncent tout de suite la couleur avec un morceau protohard : « My Generation’s Music ». Ce sont les Pumpkins. Ils feront merveille en signant leurs compositions à deux (Kelly/Poussy) à la manière de Lennon/McCartney ou de Jagger/Richard(s) et en traficotant « Night in white satin ». Et ces merveilles sont là, consignées sur ces 45 T de vinyle dont nos rejetons n’entendront plus parler. Avant-gardistes pour leur époque, ils seront pourtant vite rattrapés par le temps, ou plutôt par leurs maisons de disques qui les obligent, vers le milieu des années 70, à sortir des tubes populaires (genres « Obladi Oblada ») pour faire marcher le commerce. Ils s’y prêteront avec le sourire (« Tsikitsiky Lava »). Mais cette aventure finira par les séparer.

Chacun s’en ira alors de son côté sur cette longueet venteuse route. De Paris, Solo Razafindrakoto lance un « Akory Colette » avec un clin d’œil à Francis Bebey, tandis que Kelly, avec l’éphemère Bodo, sort l’album « My Land In The Sun » avant de donner une petite aide (technique) à ses amis de la nouvelle génération des rockers des années 80 pour, finalement, renouer avec la tradition en compagnie de Malaga…

Retour vers le futur : grâce à la magie des retrouvailles, les Pumpkins (reformés) sont là. Le mercredi 14 août 1996, ils s’en iront même écumer la petite scène de Caf’Art, le temps d’une soirée nostalgie et blues. (Ce qui revient au même). Une soirée à ne pas rater donc pour les amateurs de boogie. Et des balancements qui roulent. D’autant plus qu’elle sera là, la star du petit écran : la « Tovovavy Alright ». Come together.

"L'Express de Madagascar" du samedi 10 août 1996, pp. 13

Kelly Rajerison, Pumpkins, Madagascar, rock, Randy Donny

DU ROCK AU CAF’ART

LES PUMPKINS, REVUS ET CORRIGES

Exercice périlleux que de parler de la prestation des Pumpkins hier, au Caf’Art. Allez, on va en profiter pour passer en revue les différents commentaires possibles et i(ni)maginables.

  • Première version, du genre « tout l’monde il est beau, tout l’monde est gentil ». (Et ta sœur !) : « les Pumpkins ont fait exploser un Caf’Art plein comme un œuf »

Faux ! Vahömbey (qu’on a vu hier, traîner dans les parages) a drainé plus de monde lors de son fameux concert à « joro ». Avec d’autre part, un public beaucoup plus jeune. Seulement, avec les Pumpkins, la sono était mieux maîtrisée et il y avait moins de fumée…

  • Deuxième version, du genre rock critic acerbe et iconoclaste : « les Pumpkins ont braillé du rock, musique rebelle et anticonformiste, devant une parterre de bourgeois ».

Vrai ! Et c’est tout à fait normal du fait que leurs fans des débuts ont quand même eu le temps de grandir. Adieu les hippies, bonjour les yuppies. N’empêche que pendant le spectacle, ils ne sont pas contentés de secouer simplement leurs bijoux. Y en a même qui ont crié et sifflé à tout rompre. Et, tout compte fait, flasher sur le rock à plus de quarante ans, c’est déjà s’éloigner des normes, non ?

  • Troisième version, du genre baba pas tout à fait cool : « les Pumpkins n’ont pas attiré la foule car le rock et le blues à Madagascar, on connait pas ! »

Archi-faux ! Premièrement : un endroit comme Caf’Art n’attirera jamais la foule vu le prix prohibitif qu’on y pratique. Deuxièmement : les artistes malgaches qui ont véritablement réussi à l’étranger sont tous sortis du même moule rock et blues (les trucs Noirs, quoi !) : les Surfs, Rako, les anciens de Fooka Mainty Band, Rakoto et… le métis Slash, ex-pistolero des Guns’n’Roses ;

Ceci dit, notons qu’au cours de leurs laborieuse prestations (sans répétition préalable, selon Kelly), les Pumpkins ont rendu hommage à leurs influences : les Beatles en premier lieu mais également le feeling latino (« Black Magic Woman », version Carlos Santana) et un grand coup de chapeau à celui qui a donné à tous l’esprit du rock : Chuck Berry. « Ah ! Que c’est bon de jouer », soupirait Kelly pendant l’entracte. « On a l’impression d’un poids qui s’enlève ». Un poids ? Quel poids ? Celui des soucis peut-être. Celui de l’âge sûrement. Le rock est un bain de jouvence permanent. Les Stones en savent quelque chose.

« L’Express de Madagascar » du vendredi 16 août 1996, pp. 16

 

08/03/2022

Litiges fonciers : « Il faut mettre fin aux prescriptions acquisitives », selon Randy Donny

Itasy, Sofia ou Betsiboka… Les affaires concernant les litiges fonciers apparaissent régulièrement dans les actualités. Randy Donny, rapporteur général du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’État de droit (HCDDED), donne son opinion.

Midi Madagasikara, Randy Donny, HCDDED, Madagascar

Midi Madagasikara : D’après nos informations, 70% des doléances reçues par le HCDDED concernent des litiges fonciers, pourquoi ? 

– Randy Donny. : La raison est simple : les litiges fonciers représentent largement une des principales raisons des conflits sociaux à Madagascar ! Cela touche la plupart des régions et concerne plusieurs milliers de personnes. Les régions les plus touchées sont celles où il y avait jadis de vastes propriétés coloniales. Mais des propriétés plus modestes n’échappent pas au problème. Les pratiques ne s’éloignent pas de celles des « dahalo », voleurs de zébus, avec des voleurs de terres qui opèrent dans l’ombre, aidés par des « dahalo » au col blanc, des bureaucrates qui « blanchissent » les fruits des rapines. C’est lamentable !

M.M : Que faire devant ce problème ?

– Randy Donny. : Il faut mettre fin aux prescriptions acquisitives et annuler systématiquement toutes celles frappées d’opposition. En effet, les prescriptions acquisitives profitent à des gens de mauvaise foi qui, souvent, n’habitent nullement la région et qui n’ont donc jamais occupé les lieux ni paisiblement, ni de manière continue, mais qui -par la magie des réseaux- arrivent à produire des dossiers tendant à faire croire à des exercices d’actes matériels et à des intentions de se comporter comme propriétaires. C’est inacceptable !

M.M : Suspendre les prescriptions acquisitives ne va-t-elle pas créer d’autres conflits ? 

  • Randy Donny. : Il faut choisir. C’est ça, pour un apaisement social, ou gérer indéfiniment des conflits où les victimes sont généralement les petites gens. Les exemples ne manquent pas. Actuellement, à Analavory, un litige foncier portant sur 1 700 ha met en péril l’avenir de 20 000 paysans. En ce moment même, à Mampikony, des paysans de 10 fokontany sont obligés de fuir dans la forêt, avec femmes (certaines ont accouché pendant la fuite) et enfants (forcément déscolarisés), car évincés de force de 2 787 hectares. Selon les ONG qui rapportent le cas, le fond de dossiers de mutation n’a jamais été communiqué par le service concerné. C’est scandaleux !

Recueillis par R.Edmond.

Interview parue dans "Midi Madagasikara" du mercredi 2 mars 2022.

Midi Madagasikara, Randy Donny, HCDDED, Madagascar

Midi Madagasikara, Randy Donny, HCDDED, Madagascar

31/12/2021

"En démocratie, une autorité est reconnue non pas parce qu’elle est hiérarchique, mais parce qu’elle est compétente"

Randy Donny, Rapporteur Général du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et Madagascar, Demokrasia, Randy Donnyde l'Etat de Droit (HCDDED) nous parle "d'éthique du pouvoir" que le HCDDED est censé observer selon l'article 43 de la Constitution. Ceci est d'autant plus important qu'un certain nombre de scandales, autant politique que touchant les mœurs, ont émaillés les actualités de ces derniers mois. Réflexions.

"Demokrasia" : L’article 43 de la Constitution fait du HCDDED le gardien de l’éthique du pouvoir. C’est quoi l’éthique du pouvoir ?

° Le pouvoir allie à la fois puissance et autorité. Il s'agit d'une capacité de commander, de se faire obéir et de punir. Tout ceci laisse le champ libre, si le détenteur ne fais pas attention, à des abus. Comme disait Calliclès, un personnage de dialogue de Platon, un homme juste qui aurait du pouvoir deviendrait injuste. John Emerich Dalberg, lord Acton, historien et homme politique britannique du XIXème siècle, a sorti cette réflexion surprenante : « le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend fou absolument ».

Alors, si on considère que l'éthique est un ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu'un,  il doit donc avoir une éthique du pouvoir afin que  les dirigeants aient le pouvoir de réfléchir sur les valeurs qui leur servent à prendre une décision et à mesurer son impact, apprendre à réfléchir par soi-même, au-delà des lois, des normes et des mœurs.

L'éthique fait référence à nos valeurs. Le sujet ici n'est pas de savoir si on a le droit de faire tel ou tel geste comme avec la loi, ou si ce que l'on fait est bien ou mal, comme avec la morale. On ne doit pas se demander si on doit faire ou ne pas faire quelque chose; on doit se demander pourquoi. Réfléchir sur l’usage que l'on fait de son propre pouvoir, du pouvoir qui l'on nous a confié...

Il s’agit d’un concept non seulement peu connu mais surtout non respecté. Quel en est la raison ?

° Peu connu, non. Non respecté, oui. Encore une fois, c'est en fonction de nos valeurs. Vous savez, le mot pouvoir vient du latin « poterer » qui signifie capacité, faculté, permission ou possibilité matérielle de faire quelque chose. Tout dépend donc de la compréhension et du jugement que chacun a de ce concept. Or, ceci s'opère en fonction d’un cadre de  référence propre à chacun, lequel est éminemment  subjectif et s’inspire, consciemment ou inconsciemment, par transformation, appropriation ou rejet, de référentiels culturels, religieux, philosophiques ou économiques... On est ce que notre parcours existentiel nous a façonné.
Habituellement, on conçoit le pouvoir comme une domination de l'homme sur  l'homme, un rapport de force entre  celui qui commande et celui qui obéit. Le gouvernant fait du pouvoir sa propriété, un  instrument de commandement pour l'exercer sur  les autres. Hannah Arendt critique cette manière de  penser. Pour cette philosophe et journaliste dont un des ouvrages, "La crise de la culture", fait partie de mes livres de chevet depuis mes tendres années, le pouvoir doit se fonder sur le respect, un sentiment que nous inspire la reconnaissance de la dignité de personne humaine. Ceci rejoint le nouveau testament qui propose le pouvoir comme choix de se placer au « service de ».

En démocratie, on confie une tâche à quelqu’un. Le problème est que le mandat  est souvent assorti d’avantages en termes d’argent ou de prestige. Ce qui peut mettre les principes éthiques à rude épreuve. Aucune personne n’en est préservée d’office.

A l'étranger, dès qu'un dirigeant fait l'objet d'un scandale, politique ou autre, il démissionne. Ce n'est pas le cas chez nous où l'on se contente d'attribuer ces scandales aux adversaires politiques ou à des ragots. Qu'en pensez-vous ?

° A Madagascar, le pouvoir est considéré simplement comme une puissance. Or, dans le cadre d’une autorité légale, c'est aussi et surtout une responsabilité. Et si cela arrive, on considère la responsabilité simplement comme un devoir de répondre devant ses supérieurs. Or, c'est aussi et surtout un devoir de répondre devant les citoyens, moralement plus qu’institutionnellement; et surtout, éthiquement, devant soi-même. Malheureusement, devant la dictature du paraître et la tyrannie de l'image, la dimension éthique tend à s'effacer pour laisser la place à un ego surdimensionné où les valeurs morales et culturelles ont perdu leur raison d'être.

Vous savez, un ancien ministre britannique des Affaires étrangères, David Owen, a décrit un phénomène pour le moins étranger : le syndrome d'Hubris, une pathologie du pouvoir. Il a dressé une liste de treize comportements caractéristiques du syndrome d’Hubris. Ils vont de parler de soi à la troisième personne, à une identification totale entre le sort de l’individu et de l’institution qu’il dirige en passant par la croyance que seule l’histoire pourra juger de ses décisions.

C'est dramatique car, comme disait le romancier français Hervé Bazin dans "Ce que je crois", "tout pouvoir qui cultive l'hypocrisie de sa perfection ne tombe pas seulement dans le ridicule et dans les excès de la dévotion à lui-même ; il détruit l'espoir de la nature humaine en la continuité du progrès".

Quel est le rôle du HCDDED pour que la classe politique, les organisations de la société civile ainsi que les simples citoyens fassent montre d’une éthique politique pour faire émerger des « Hommes d’Etat » ? Quels pourraient être les blocages et comment les surpasser ?

° Chacun doit toujours avoir à l'esprit que le pouvoir ne doit pas provenir de la force (autoproclamation), mais d’une élection démocratique ou d’une délégation hiérarchique (désignation). Ce pouvoir est cependant limité par le droit administratif et les lois de la République qui sanctionnent tout abus du pouvoir (harcèlement moral ou sexuel, par exemple).

Dans une démocratie, assumer son rôle et exercer sa puissance tout en laissant une juste place aux autres acteurs est un exercice complexe qui s'apparente à de l'art. En démocratie, une autorité est reconnue non pas parce qu’elle est hiérarchique, mais parce qu’elle est compétente. Une autorité incompétente peut légalement se faire reconnaitre par la force, mais c’est sa compétence qui assoit véritablement sa légitimité. Le respect ne s'impose pas, il se mérite. Enfin, des institutions démocratiques stables sont les meilleures garanties contre les dérives.

Interview paru dans "Demokrasia", la revue du HCDDED, n°11, août - septembre - octobre 2021, pp. 08 & 10.

Madagascar, Demokrasia, Randy Donny

Journaliste, Randy Donny a une expérience particulière avec un enjeu éthique qui comportait une clause de conscience : réprimandé pour avoir invité une personnalité qui ne cadre pas dans la ligne éditoriale de l'entreprise de presse où il avait une émission et était l'un des employés les mieux payés, il a préféré démissionner. 

19/09/2021

Journalisme, la faim des médias

L’avenir de la presse est en ligne, mais le journalisme traditionnel a encore de beaux jours devant lui. Ces 20 dernières années, la presse malgache a beaucoup gagné en quantité, mais elle a perdu en qualité. Ce paradoxe s’explique par plusieurs raisons. Qui peut la tirer vers le haut ? La presse en ligne est à l’affût. Mais la pêche n’est pas souvent bonne. Panorama.

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Attablés dans un food court, quelque part sur la route Digue, Ranja et Sarah, tous deux de la « génération Y », piaffent d’impatience en attendant leurs commandes. Les parents demeurent stoïques, faisant semblant d’être de marbre face aux bonnes odeurs qui émanent des cuisines. Tout à coup, Rija, un quadragénaire, lève la main et appelle un serveur. Il a déjà passé commande, il veut juste le code wifi de l’endroit. Tout le monde s’affole : l’affiche indiquant le précieux sésame a disparu. Après quelques minutes de recherche, une serveuse vient à la rescousse et donne verbalement la suite de chiffres et de lettres.

Tout le monde est tout ouïe. Très vite, on se passe la clé de chiffrement. Les smartphones s’allument comme par magie. Chacun reprend sa place, la tête baissée, les mains immobilisant leur prolongement technologique et les yeux rivés sur l’écran. Les commandes peuvent tarder. Personne ne s’en soucie maintenant. Les parents peuvent discuter, les enfants sont déjà ailleurs. Ils sont en communion avec les 9,6 millions d’utilisateurs de connexion mobile à Madagascar, soit 34,2% d’une population de 28,6 millions.

Actualités du monde réel

Si on se permet de regarder ce qui les intéresse, on constate qu’ils sont surtout sur Facebook. Dans la jungle des réseaux sociaux, ce trombinoscope créé par l’américain Mark Zuckerberg se taille la part du lion avec 2,4 millions d’utilisateurs malgaches en 2019 (We Are Social, january 2019). Après avoir parcouru silencieusement les publications, les accros aux réseaux sociaux finissent par émerger du monde virtuel et commencent à commenter les actualités du monde réel avec la tablée. Eurêka !

Le peuple des mobiles ne s’intéresse pas qu’aux likes et autres photos retouchées. Il est aussi à la recherche d’informations. Autrement dit, la presse écrite a encore de l’avenir devant elle. Sauf que les gens ne lisent plus les papiers. Ils préfèrent plutôt lire la presse écrite… sur écran. C’est valable un peu partout dans le monde avec l’explosion des nouvelles technologies, notamment les smartphones qui réduisent tant soit peu la fracture numérique.

La population a plus que jamais besoin d’être informée, surtout en cette période de pandémie. C’est, en tout cas, une réalité en Europe, où on remarque une explosion de l’audience des médias d’actualités en ligne entre janvier et mars 2020 : +142% en Italie, un des pays les plus touchés par l’épidémie, +74% en Espagne, +50% en France, 44% au Royaume-Uni et 29% en Allemagne.

Usage

À Madagascar, faute de statistiques sur le sujet, on ne peut que se rabattre sur les derniers chiffres sur les usages d’internet, des réseaux sociaux et des téléphones mobiles. Certainement en raison de la pandémie, qui a entraîné des mesures de confinement, le nombre d’internautes a explosé de +42% en janvier 2021, soit 4,54 millions dont 1,6 million de nouveaux usagers (19,4% d’une population de 28,6 millions). Ceci doit profiter aux médias en ligne.

D’autant plus que pratiquement tous les titres en papier ont des sites web. Même les stations de radio et les chaînes de télévision s’y sont mises. C’est ainsi que des médias en ligne sont de plus en plus prisés grâce à leurs fils d’actualités, à l’instar d’Orange actu qui s’est attaché le service de journalistes professionnels. Signe que la presse en ligne commence à bien s’ancrer dans le paysage médiatique malgache, il est déjà atteint par un des tares de la presse traditionnelle : le phagocytage par les politiques. C’est ainsi que
sobika.com, créé en 2008 par le regretté Niry Jules, a été racheté en 2011 par un businessman, accessoirement éminence grise du président de la République. Rebaptisé
sobikamada.com, l’ancien numéro un des fils d’actualités n’est plus actuellement que l’ombre de lui-même sous le nom de
gasypatriote, géré par un ancien candidat à l’élection présidentielle. Les politiciens jouent aux journalistes, comme on jouait à « policiers et voleurs » quand on était enfant.

Modèle économique

Ceci dit, avec seulement 7,1 % des ménages disposant d’un ordinateur (5 ICT Indicators (WCTI), database June 2018 edition), les usagers surfent surtout sur internet par le biais de téléphones mobiles, dont les possesseurs ne cessent d’augmenter. Ceci limite les consultations des pages web, laissant le champ libre aux réseaux sociaux gratuits. On a beaucoup parlé, certains s’en sont même gaussé, de « la communauté des 6% », ces accros aux réseaux sociaux qui influenceraient la marche de la Nation en mettant le pouce en l’air en signe d’approbation ou en la mettant en bas en cas de refus, à la manière d’un César condamnant quelqu’un à la mort dans l’arène aux gladiateurs.

Ajoutez-y les commentaires et le coup peut effectivement être fatal pour ceux qui sont visés. Eh bien, sachez que les amateurs malgaches d’emojis, ces pictogrammes utilisés dans les messages électroniques, ont augmenté de 30% en 2021, passant de 2,3 millions de personnes en janvier 2020 à 3 millions d’utilisateurs réguliers, soit 10,7% de la population !

Alors, l’avenir de la presse est-il donc en ligne ? Oui, car les Malgaches ne lisent pratiquement plus sur support papier. Le naufrage de l’édition bibliographique n’est pas de bon augure quant au futur du journal papier. Seuls 8,7% de la population lisent des livres. La raison est que les médias en ligne ont des difficultés à trouver le bon modèle économique. Ils doivent fonctionner grâce à la publicité, mais les annonceurs sont encore habitués à la version papier ou télévisuelle. Le marketing digital qui se traduit surtout par le nombre de clics de souris n’est pas encore une pratique courante. D’où la disparition de pratiquement 50% des médias en ligne depuis l’apparition de ce qui est vraisemblablement le premier journal malgache en ligne, Madonline, en 1988.

Disparition programmée

L’autre avantage des réseaux sociaux est que l’on peut relayer les informations en malgache. Ce qui est pratique dans un pays où seulement 0,57% de la population parle uniquement le français et 15,87% le pratiquent occasionnellement. Les posts (« articles » pour parler comme un bon journaliste) y sont courts, juste ce qu’il faut pour des consommateurs de fast-foods ayant adapté leur comportement aux médias également (les scroller font défiler des pages, surtout celles des réseaux sociaux, en lisant rapidement et diagonalement le contenu). De plus, on peut y entendre des sons, comme à la radio, ou voir des vidéos, comme à la télé.

Mais alors, assiste-t-on à la disparition programmée des médias classiques ? Non, car il ne faut pas conclure trop vite non plus, comme lorsqu’on a annoncé la disparition de la radio à la naissance de la télévision. Cela rappelle une question assénée à l’auteur de ces lignes par une étudiante de ces écoles de journalisme qui fleurissent ces derniers temps : « Facebook va-t-il sonner le glas des médias traditionnels, car on dirait que les journalistes puisent sans vergogne dans les infos publiées par des particuliers sur les réseaux sociaux ? »

C’est vrai et faux à la fois. Ce sera vrai si les journalistes, tant papier qu’audiovisuel, ne font effectivement que « pomper », pour dire les faits prosaïquement, les informations que l’on sème sur les réseaux sociaux. Mais ce sera faux s’ils font des recoupements et s’ils partent à la recherche de surplus d’informations afin d’inclure une valeur ajoutée à des informations brutes de décoffrage dont la fiabilité, ainsi que l’intérêt général et les droits fondamentaux du public sont les derniers des soucis des auteurs. Ceci répond à l’énigme posée en introduction.

L’augmentation en quantité des médias doit s’accompagner d’une hausse de la qualité. Les médias en ligne ont de l’avenir, mais la presse classique peut survivre si tous les professionnels du métier voulaient se donner la main pour observer les fondamentaux du journalisme et ne pas tomber dans la facilité. Et surtout, ne pas se contenter de se partager les infos entre desks au point d’oublier que le scoop est au journalisme ce que le sel est au bon cuisinier, comme dirait un proverbe malgache.

Exigence de la vérité

Selon la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie, publiée le 5 novembre 2018 : les journalistes « ne doivent pas considérer l’information comme un produit commercial. Animés par l’exigence de vérité, ils doivent présenter les faits de façon impartiale, en faisant autant que possible abstraction de leurs propres intérêts et préjugés et en rejetant toute forme de connivence ou de conflit d’intérêts ». Biberonné aux « frais de déplacements » et autres avantages en nature ou en espèces sonnantes et trébuchantes, globalement résumés par felaka, le journalisme malgache a faim d’éthique et de déontologie.

C’est un texte assez peu connu, mais 70 ans après la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie, rédigée par une commission de 25 personnalités issues de 18 nationalités, pose des principes fondamentaux que chaque journaliste devrait connaître. Présidée par le Secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, et le lauréat du prix Nobel de la Paix, Shirin Ebadi, la commission inclut d’autres lauréats du Nobel, comme Joseph Stiglitz, mais également
Abdou Diouf et Francis Fukuyama. Selon la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie, « les journalistes agissent en complète indépendance à l’égard de tous les pouvoirs comme de toute influence abusive, politique, économique, religieuse ou autre.

Toute atteinte aux principes d’indépendance, de pluralisme et d’honnêteté de l’information, de la part d’autorités publiques, de propriétaires ou d’actionnaires, d’annonceurs ou de partenaires commerciaux de médias, est une atteinte à la liberté de l’information (…) Le contrôle politique sur les médias, l’assujettissement de l’information à des intérêts particuliers, l’influence croissante d’acteurs privés qui échappent au contrôle démocratique, la désinformation massive en ligne, la violence contre les reporters et l’affaiblissement du journalisme de qualité menacent l’exercice du droit à la connaissance. Toute tentative de limiter abusivement cet exercice, par la force, la technologie ou le droit, est une violation du droit à la liberté d’opinion ».

La prière du matin de l’homme moderne         

Simple envolée lyrique ? C’est à chacun de voir. La « clause de conscience » n’est pas pour la faune enragée qu’on lâche à chaque manifestation politique, masquée du sceau de la démocratie. Même si la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie donne « une base de légitimité à l’instauration de garanties démocratiques » en reconnaissant pour la première fois que « l’espace global de la communication et de l’information est un bien commun de l’humanité».

Ce qui « prolonge une évolution historique du droit ». Le journaliste a une fonction sociale, celle de « tierce confiance » des sociétés et des individus. Le pire malheur qui puisse arriver à un journaliste est de n’être plus cru. Il n’aura alors qu’à changer de métier. Devenir politicien, par exemple… Sinon, il y aura toujours des amateurs de papiers froissés pour qui, au petit-déjeuner, au bureau ou dans les transports en commun, la lecture du journal demeure « la prière du matin de l’homme moderne », comme disait Hegel.

Il y aura toujours des passionnés de longues histoires (reportages se disent story chez les anglophones) qui emmènent les lecteurs là où les reporters sont allés en mobilisant tous leurs sens. Même sans caméra, un bon journaliste peut faire voir aux lecteurs ce qu’il a vu, leur faire ressentir ce qu’il a touché, leur faire respirer les odeurs qu’il a senties et leur faire apprécier ce qu’il a mangé. Oui, même sans le son, il peut leur faire entendre ce qu’il a entendu durant
son périple.

Au food court situé sur la route digue, le fast-food est consommé goulûment. Mais pas autant que les infos flash des réseaux sociaux que les consommateurs de connexions mobiles continuent d’ingurgiter. Après le wifi, tout le monde passe aux crédits téléphoniques. Un être humain aura toujours besoin de connaissances et d’informations pour développer ses capacités biologiques, psychologiques, sociales, politiques et économiques. Ensemble, les médias – en ligne ou traditionnels – doivent y contribuer.

Randy Donny in "Politikà", #23, juin-juillet 2021, pp. 07-08.

A lire aussi, dans la même édition un hommage à Mamy Nohatrarivo.

politikà,randy donny,journalisme,déclaration internationale sur l’information et la démocratie

08/05/2021

Le discours anti-vaccin profite de la pandémie pour élargir son audience via les réseaux sociaux

Quelque 65% du contenu anti-vaccin en ligne publié en février et mars peut être attribué à douze "créateurs extrêmement influents", selon l'ONG américaine Center for Countering Digital Hate. Parmi eux, l'avocat Robert F. Kennedy Jr, neveu de l'ancien président.

Le discours anti-vaccin a profité de la pandémie pour élargir son audience via les réseaux sociaux: autrefois cantonné à des communautés restreintes, il s'est répandu auprès d'un public inquiet d'un virus méconnu, au risque d'entraver les campagnes vaccinales. Depuis toujours, les mouvements anti-vaccins "ont compris l'intérêt de la bataille de l'information", explique Laurent-Henri Vignaud, historien des sciences français et co-auteur du livre "Antivax" (Vandémiaire éditions, 2019).

A l'inverse, les autorités de santé "ont souvent une guerre de retard", ajoute-t-il, car "partant du principe que la vaccination est utile à la collectivité".

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Les vaccins Covishield (AstraZeneca) gratuits, entrant dans le programme Covax, arrivent à Madagascar. Les membres de l'opposition, qui ont réclamé des vaccins à un moment où le régime était réticent, sont prioritaires, selon une promesse présidentielle.

Porté depuis la fin des années 1990 par une étude suggérant un lien entre la vaccination ROR (rougeole, oreillons, rubéole) et l'autisme, pourtant maintes fois démystifiée, le mouvement anti-vaccin se démocratise pour sortir de communautés de niche (religieuses, groupes de mères de famille, certaines franges environnementalistes, etc...).

Les comptes Facebook colportant de fausses informations sur les vaccins ont vu leur nombre d'abonnés exploser l'an passé, selon une étude de la BBC publiée fin mars sur sept pays (Brésil, Mexique, Inde, Ukraine, France, Tanzanie, Kenya).

En France, des pages partageant du contenu anti-vaccin ont reçu près de quatre millions de likes (+27%, une croissance trois fois plus rapide qu'en 2019, mais comparable à 2018). Ces théories ne sont plus limitées à "des groupuscules marginaux" mais "entrent en résonance avec le mouvement des Gilets Jaunes, les libertariens, les groupes New Age", créant des alliances "idéologiquement incongrues", explique l'ONG de lutte contre la désinformation First Draft qui a réalisé une étude à l'été 2020 sur environ 14 millions de publications en lien avec la vaccination.

Le message anti-vaccin trouve un fort écho chez les partisans des extrêmes, droite ou gauche, et chez les abstentionnistes, note Florian Cafiero, sociologue au CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Et les théories du complot - Nouvel ordre mondial, agenda transhumaniste, ou même QAnon - "incorporent les vaccins dans leurs récits, pour faire en sorte de rester pertinentes", note Seb Cubbon, chercheur-analyste pour First Draft. Ce discours anti-vaccin est porté par quelques figures emblématiques très actives.

En observant des milliers de tweets en anglais, des chercheurs de l'Université de Zurich ont trouvé que le contenu anti-vaccin était produit par une petite fraction d'utilisateurs tout en bénéficiant d'un fort taux d'interactions. Quelque 65% du contenu anti-vaccin en ligne publié en février et mars peut être attribué à douze "créateurs extrêmement influents", selon l'ONG américaine Center for Countering Digital Hate. Parmi eux, l'avocat Robert F. Kennedy Jr, neveu de l'ancien président.

Confinée, désireuse de comprendre cette maladie qui a sidéré le monde, la population a cherché ses informations en ligne. Mais le déficit de connaissances disponibles, les erreurs dans la communication officielle - par exemple sur le masque jugé inutile dans un premier temps -, un manque de culture scientifique, ont ouvert la porte à la désinformation.

La nouveauté des vaccins utilisant la technologie inédite de l'ARN messager, leur arrivée rapide sur le marché, nourrissent la défiance, tout comme la révélation, une fois les campagnes commencées, d'effets secondaires plus graves que prévu pour AstraZeneca et Johnson & Johnson.

Les infox prennent parfois sur internet la forme de productions soignées comme le documentaire "Hold-Up" en France qui dénonçait une "manipulation globale" autour de la pandémie dont les vaccins feraient partie, engrangeant des millions de vues. Elles s'invitent dans le débat public, relayées aussi par des personnalités politiques, des célébrités, des influenceurs.

Vaccins accusés d'être inefficaces voire mortels par des "médecins" anonymes, fausses vidéos de vaccinés morts après injection ou données de pharmaco-vigilance détournées: l'AFP a rédigé pas moins de 700 articles de vérification sur les vaccins.

Les grandes plateformes comme Facebook, Twitter ou YouTube ont accéléré la chasse aux contenus anti-vaccins et aux fausses informations en 2020, tout en promouvant les recommandations des autorités sanitaires.

En septembre, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et plusieurs agences onusiennes se sont inquiétées d'une surabondance d'informations qui rend "difficile pour chacun de savoir ce qu'il faut faire". Les effets de l'"infodémie peuvent être tragiques", rappelle Christine Czerniak, qui s'occupe de la question à l'OMS.

Des personnes sont mortes d'avoir suivi des conseils trompeurs pour combattre le Covid, empoisonnées par la consommation de méthanol ou l'utilisation incorrecte de produits de nettoyage.

Le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) cartographie et prépare le terrain des futures campagnes vaccinales, explique Sarah Lister, cheffe de la gouvernance: lancement d'un observatoire sur l'acceptation du vaccin en Uruguay, travail avec les chefs religieux en Somalie, formation de journalistes à la gestion de la désinformation au Sierra Leone. Les effets de cette désinformation restent difficiles à évaluer, d'autant que les campagnes de vaccination dans le monde sont à des stades très différents.

Les sondages montrent que les mentalités peuvent vite évoluer. L'exposition à une information fausse ou trompeuse tend à diminuer la volonté de se faire vacciner de plusieurs points de pourcentage, selon une étude de chercheurs britanniques du Vaccine Confidence Project publiée en mars dans la revue Nature.

Une volonté qui "n'est pas statique" selon eux, mais "très réactive aux informations et à l'opinion concernant un vaccin Covid-19, ainsi qu'à l'état de l'épidémie et au risque perçu de contracter la maladie".

L'impact "est plus complexe qu'une réaction binaire", nuance Seb Cubbon. Ainsi la désinformation a été massive sur les vaccins ARN (qualifiés régulièrement de "thérapie génique") et en particulier Pfizer. Pourtant, ce dernier est désormais davantage désiré, en particulier face aux inquiétudes relatives à l'AstraZeneca.

"Si trop de personnes ne se vaccinent pas", rappelle Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale en France, "nous n'arriverons pas à atteindre la couverture vaccinale nécessaire pour parvenir à l'immunité de groupe, condition de la levée des gestes barrières et des mesures de freinage de l'épidémie".

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